Les secrets de famille by Serge Tisseron

Auteur:Serge Tisseron
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Presses Universitaires de France

II. – L’impact du traumatisme

Dans les années 1960, deux médecins américains41 furent intrigués par la façon dont certains enfants nés de parents déportés présentaient des symptômes proches de ceux que leurs parents avaient vécus dans les camps : amaigrissement, insécurité, terreurs… Pourtant, apparemment, leurs parents s’étaient bien tirés d’affaire. Ils avaient un métier, une famille et un réseau d’amis. Tout se passait donc comme si ce que ces parents avaient vécu pendant leur déportation était passé dans la tête de leurs enfants ! Et comme ces parents paraissaient avoir à peu près dépassé leurs traumatismes, l’idée vint que des contenus psychiques inconscients puissent passer d’une génération à l’autre par une sorte de « transmission d’inconscient à inconscient ». Cette idée, on le voit, renouait avec un certain fatalisme des croyances traditionnelles. Bien sûr, on ne parlait pas de fatum ou de « destin », mais d’« inconscient », pourtant, l’idée sous-jacente à cette nouvelle croyance était la même : ni les parents ni les enfants n’y pouvaient rien, les traumatismes vécus par une génération « passaient » dans le psychisme des suivantes, inchangés.

Ces questions rencontrèrent les préoccupations de deux psychanalystes d’origine hongroise, Nicolas Abraham et Maria Torok. Ils réunirent dans les années 1960 un groupe de travail dont firent notamment partie Alain de Mijolla et Dominique Geahchan. Ce sont incontestablement leurs travaux sur l’introjection, l’inclusion psychique, la crypte et le fantôme qui permirent, à la fin des années 1970, d’opérer la rencontre entre la psychanalyse et les secrets de famille. Mais ces travaux renouaient eux-mêmes avec des questions essentielles posées à l’aube de la psychanalyse, par le psychanalyste hongrois Sándor Ferenczi, portant sur le clivage et l’échec de l’appropriation de sa propre histoire.

Mais il ne faut pas croire que leur théorisation résolvait toutes les difficultés. Parmi les différents processus psychiques susceptibles d’être impliqués dans les ricochets des drames vécus par les générations passées, ces auteurs ne s’intéressèrent en effet qu’au langage. Pire encore, certains qui se réclamaient d’eux cédèrent à la fascination simplificatrice d’une « transmission d’inconscient à inconscient ».

Il faut dire qu’à cette époque l’inconscient, avec son aura de mystère et de puissance, semblait décidément tout expliquer. Plus besoin de comprendre pourquoi, dans une famille, un traumatisme porte son ombre sur un enfant et pas sur un autre. Et pas besoin non plus de s’interroger sur soi, sa part de liberté et d’adhésion plus ou moins volontaire au malheur d’une génération précédente.

Une compréhension caricaturale de ces travaux, tout comme une lecture trop rapide des recherches des systémiciens, aboutit alors à des excès. L’explication « c’est parce que votre grand-père (ou votre grand-mère) a fait ceci ou cela » devint le credo de certains thérapeutes. De la même façon qu’un personnage du Malade imaginaire de Molière répète sans arrêt « le poumon, vous dis-je », pour expliquer les troubles divers et variés dont une jeune fille est atteinte, eux se mirent à répéter sans cesse : « Votre ancêtre, vous dis-je. » Aux États-Unis d’abord, en Europe ensuite, des thérapeutes

Télécharger

Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.